Le deuxième article s’intéresse à la multidimensionnalité, qui caractérise les engagements militaires contemporains et qui ont donné naissance au concept de guerre hybride. L’auteur se propose d’étudier la place du droit comme dimension et mode d’action particulier de cette forme de guerre à travers le concept de lawfare. Ce dernier permet en effet de penser l’intégration grandissante du droit dans les stratégies des acteurs pour atteindre leurs objectifs politiques ».

 

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Le lawfare élément essentiel de la guerre hybride

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Quoi de commun entre l’opération plomb durci (2009), la bataille de Mossoul (2016) et l’opération Barkhane (2021) ? Chacun de ces engagements militaires se caractérise par une utilisation stratégique du droit (lawfare). Celle-ci doit intéresser tant le juriste que le décideur militaire. En effet, le droit, en particulier le droit des conflits armés, se conçoit, de prime abord, comme une prescription normative autorisant, interdisant ou limitant des comportements. Or, les engagements militaires contemporains montrent que le recours au droit ne se limite pas à cette fonction, mais qu’il fait partie intégrante de la stratégie des acteurs. C’est pourquoi, l’analyse de ce glissement, à la lumière du concept de « guerre hybride », qui se caractérise par une approche multidimensionnelle pour rendre compte des moyens utilisés par les belligérants dans le cadre des conflits armés actuels, s’avère essentielle.

Les termes « lawfare » et « guerre hybride » font l’objet d’une utilisation intensive dans la littérature relative à l’étude des conflits armés contemporains sans toutefois parvenir à des certitudes définitionnelles et conceptuelles. Tout en utilisant les mêmes termes, les auteurs les emploient dans des sens parfois éloignés rendant ainsi complexe une compréhension précise des liens unissant ces deux notions.

Or, les conflits militaires se déploient dans un environnement marqué par la sensibilité des sociétés occidentales au respect du droit. Le thème des nouvelles guerres, de guerre hybride, cherche de son côté à cerner les particularismes des engagements armés contemporains. Le rapprochement de ces évolutions pourrait permettre d’approfondir la compréhension du particularisme des nouvelles guerres sous le prisme du droit.

Les termes de « lawfare » et de « guerre hybride » ambitionnent donc de rendre compte à la fois d’une évolution et d’une complexité. L’évolution porte autant sur les formes de conflit que sur l’utilisation croissante du droit. La complexité renvoie d’abord à l’appréhension des formes contemporaines de conflictualités et souligne les relations entre les deux termes de l’étude. L’encadrement juridique de ces nouveaux conflits s’avère souvent compliqué, mais en même temps le droit constitue lui-même un élément de complexification de leur appréhension, du niveau stratégique au niveau tactique.

Cet article se propose ainsi d’étudier la manière dont le droit s’intègre dans les stratégies des acteurs comme moyen pour atteindre leurs objectifs politiques. C’est cette réalité qu’exprime l’idée de lawfare qui témoigne du poids du droit pour les décideurs politiques et militaires dans les conflits au XXIe siècle. Le droit ne doit en effet pas être considéré comme un simple risque pénal, mais bien comme un élément à part entière de la stratégie et de la conduite des hostilités. Le lawfare cherche à influer sur les paradigmes juridiques à des fins stratégiques, opérationnelles et tactiques et représente ainsi une dimension notable de la guerre hybride. cette étude envisage moins d’interroger le concept de guerre hybride que l’usage du droit comme moyen à la disposition des décideurs politiques et militaires dans le cadre d’une guerre hybride.

Dès lors plusieurs questions se posent afin de mieux identifier les enjeux de l’intégration du droit comme élément structurant de la stratégie d’un acteur dans le cadre des conflits contemporains. La première question porte sur la manière dont le droit international influe sur les environnements stratégique, opérationnel et tactique. La réponse à cette interrogation conduit à se demander comment les acteurs du conflit peuvent utiliser le droit international pour transformer ces environnements. Ces questionnements s’efforcent donc de montrer la portée de l’action du droit sur l’environnement d’un acteur. Toutefois, ce processus d’influence ne fonctionne pas à sens unique. La question de la compréhension du pouvoir de l’environnement stratégique, opérationnel et tactique sur le droit international se pose également.

Il est ainsi intéressant de comprendre les raisons et les conséquences pour les parties au conflit du choix d’intégrer le lawfare comme dimension de la guerre hybride afin d’atteindre leurs objectifs politiques.

Afin de tenter de répondre à ces interrogations, les présupposés qui entourent l’emploi de ces termes doivent être recherchés. L’analyse de la littérature montre que ces notions servent à expliquer que les adversaires des Occidentaux ne respectent pas les lois de la guerre. Cette terminologie ne revêtirait donc qu’une dimension péjorative. Retenir une telle hypothèse empêcherait toutefois de tirer d’éventuels enseignements (dimensions prédictive et prescriptive) de l’utilisation de ces notions comme grille d’analyse des conflits contemporains.

 

Or, le recours aux idées de guerre hybride et de lawfare permet d’avancer l’hypothèse que le droit constitue une part essentielle de la gestion des conflits armés quel que soit le niveau (stratégique, opérationnel, tactique) envisagé. Ceci conduit à soutenir que le lawfare ne constitue pas un élément distinctif de la guerre hybride dès lors que le droit revêt une importance tout aussi forte dans le cadre d’un engagement conventionnel. Le lawfare devrait être ainsi plutôt compris comme un élément stratégique guidant les choix opérationnels et tactiques de l’adversaire dans le cadre d’une guerre hybride.

 

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Auteur : Éric Pomès, Maître de conférences, HDR, ICES ; Institut Catholique de Vendée, CRICES.

 


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